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BARBE BLEUE 2.0

  • Photo du rédacteur: Karine De Leusse
    Karine De Leusse
  • 20 mai
  • 3 min de lecture



Il était une fois, dans un royaume où les gens ne manquaient de rien sauf de temps, un homme immensément riche. Il ne possédait ni château, ni terres, ni coffres d'or. Non. Il avait mieux que tout cela : il possédait la technologie. On disait qu'il pouvait offrir à qui le voulait une vie plus rapide, plus efficace, plus divertissante, plus connectée. Il s'appelait Barbe Bleue (en raison de sa lumière bleue), et tout le monde l'adorait.


Un jour, il proposa à une jeune femme douce et curieuse de venir vivre dans sa maison.

"Tout t'appartient ici", dit-il en lui montrant les pièces infinies de son palais numérique. "Regarde, voici la salle des savoirs : une encyclopédie infinie. Et là, la salle des jeux : tu pourras y jouer, rire, oublier. Là encore, les miroirs sociaux, pour te voir, être vue, aimée mille fois par heure."


Elle était éblouie. Tout était fluide, tout était là, au bout des doigts. "Seulement..."ajouta-t-il en lui tendant un trousseau de clés virtuelles, "une seule porte t'est interdite. Cette clé là, la Clé de l'Illimité, ne l'utilise jamais. C'est la chambre de l'excès."


Elle promit.


Et puis, les jours passèrent. Elle cliquait, elle swipait, riait, postait, réagissait, apprenait, restait...Elle dormait peu. Parfois, son cœur battait un peu trop vite. Elle se surprenait à ne plus sortir. A manger devant les écrans. A répondre en image au lieu de parler.


Et la Clé de l'Illimité, là, dans sa poche pesait.


Un matin brumeux, elle céda. Elle ouvrit la chambre.


Un vent glacial la traversa. A l'intérieur, elle découvrit les squelettes numériques de celles et ceux qui l'avaient précédée. Les visages flous de ceux qui avaient oublié leur corps. Les enfants aux yeux ronds, les parents absents, les nuits hachées. Elle vit la fatigue, l'ennui, l'angoisse sans nom. Elle vit le vide.


Elle referma la porte en tremblant mais il était trop tard : la clé était tâchée. Une lumière rouge s'était allumée quelque part. Tout ce qu'elle touchait maintenant clignotait d'un éclat angoissé. La maison était la même mais quelque chose s'était brisé. Elle ne pouvait plus ignorer.


Barbe Bleue revint. Il vit la clé, il vit son regard. Il sourit.


"Tu n'as pas résisté... C'est toujours ainsi. Tu voulais tout, sans manque. tu voulais être partout, sans pause. Maintenant, tu sais"


Elle voulu protester, s'excuser, fuir. Mais elle était prise dans un filet invisible. Rien ne la retenait vraiment sauf ce lien diffus entre besoin et dépendance, entre confort et prison.


Alors, elle murmura " : Anne, ma sœur Anne...ne vois-tu rien venir à l'horizon ?"


Et la voix de sa sœur, cette part d'elle-même qu'elle avait oubliée, répondit " Je vois...pas une armée, ni une solution magique. Mais une ligne. Fine, à peine visible. Elle est la limite à redessiner. A habiter".


Ce jour là, elle ne quitta pas le palais.


Mais elle commença à fermer les portes, une à une. Non par peur mais par choix. Elle apprit à rester dans une seule pièce. A regarder par la fenêtre plutôt qu'à travers l'écran. A ne plus tout saisir. A perdre un peu. Et à vivre mieux.


Barbe Bleue ne disparut pas. Il était toujours là, charmeur, immense, omniprésent. Mais désormais, elle le regardait avec une lucidité neuve. Il n'était plus le maître.


Elle ne savait pas encore si c'était cela, être libre. Mais c'était un bon début. Elle vécut heureuse et eut beaucoup de Temps.


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