Ne récompensez pas le réel par du numérique
- Karine De Leusse
- 14 oct.
- 3 min de lecture

L’anti-fuite de la semaine : réhabiliter la joie d’exister
Il y a une erreur silencieuse, presque invisible, qui s’est glissée dans nos façons d’éduquer : celle de récompenser le réel par du numérique.
Nous avons commencé à troquer un bon comportement, une réussite, une belle attitude… contre un temps d’écran. Et sans nous en rendre compte, nous avons inversé la valeur des mondes : le réel est devenu la corvée, le numérique la récompense.
🎁 Quand le numérique devient la carotte : une inversion symbolique
D’un point de vue psychologique, ce geste est loin d’être anodin.
Lorsqu’un parent dit : « Si tu as une bonne note, si tu ranges ta chambre, tu pourras jouer à ta console », l’enfant enregistre que le réel (ranger, réviser, participer, s’impliquer) est un effort pénible, une obligation vide de sens.
Que le plaisir, la récompense et la lumière se trouvent dans le monde numérique.
Le cerveau de l’enfant apprend par association. En répétant ce schéma, on programme inconsciemment une fuite vers le virtuel. Le réel devient une tâche à éviter, et le numérique, un refuge exaltant.
C’est ainsi que s’installe le fugitisme : cette tendance à s’exiler du monde présent, à chercher refuge dans un espace dopaminergique où tout est plus rapide, plus gratifiant et plus simple.
⚖️ Punir par l’écran : une erreur symétrique
L’autre versant du problème, c’est la punition numérique : « Tu n’as pas été sage, je te retire la tablette. »
Le message implicite est puissant : sans écran, tu souffres.
Le réel devient synonyme de privation, de manque, de vide. Ce type de sanction renforce la dépendance psychique à l’écran car il en fait l’objet du désir absolu.
Sur le plan clinique, cela crée une confusion affective : l’enfant associe la frustration non pas à ses actes mais à l’absence d’écran. Il ne se responsabilise pas, il subit. Or le réel n’est pas une punition — c’est un territoire à réinvestir.
🌱 Réparer le lien au réel
Récompenser un enfant ne devrait jamais signifier lui offrir un autre monde. Cela devrait signifier : lui redonner le goût d’exister.
La réparation passe par la réhabilitation du plaisir simple :
du temps partagé,
de la présence incarnée,
du jeu libre,
du rire,
de la parole et de l’imaginaire.
Ces expériences nourrissent le cerveau de manière lente, stable, durable — à l’inverse du numérique qui excite sans construire. C’est ainsi que le réel redevient désirable, que l’enfant retrouve sa capacité à s’y ancrer et à y investir sa curiosité et son désir.
💡 Le geste anti-fuite : féliciter sans écran
Le geste le plus simple est souvent le plus puissant : féliciter sans écran.
Un regard, un mot, une attention partagée suffisent à nourrir l’estime et la sécurité intérieure d’un enfant.
Un projet, un moment vécu, une idée réalisée ensemble… voilà la vraie récompense.
Le fugitisme, c’est précisément la perte de ce lien charnel au monde.
Récompenser par du réel, c’est rappeler que la joie ne s’achète pas, elle se vit.
🧭 Retrouver la boussole
Chaque fois que nous remplaçons une émotion vivante par un écran, nous affaiblissons un peu plus la capacité d’un enfant à trouver du sens dans le monde.
Récompenser par le numérique, c’est nourrir l’exil.
Récompenser par la présence, c’est ouvrir la voie du retour.
L’éducation anti-fuite n’est pas une lutte contre le numérique :
c’est une reconquête du vivant.



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