Portait Robot d'un Ado en Fugitisme
- Karine De Leusse
- 1 mai
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 mai

Une scène familière, trop familière.
Il entre sans un mot. Tête baissée, épaules voutées, regard éteint. Il ne s'assoit pas vraiment, il se laisse tomber dans le fauteuil. A coté de lui, ou en face, ses parents. L'un deux parfois parle d'abord, mais très vite l'émotion les déborde tous les deux. Ce ne sont pas des larmes de choc, ce sont des larmes de trop : trop d'inquiétude, trop de tentatives, trop de solitudes.
Je connais cette scène. Je la vois 20 fois par semaine au minimum.
C'est devenu une sorte de rituel tragique, comme une boucle dont plus personne ne sait comment sortir.
L'adolescent est là mais ailleurs. Il ne s'oppose pas, il ne provoque pas. Il n'est pas agressif- du moins, pas encore. Il est surtout absent. Pas concerné. Il vit ailleurs.
Et ce n'est pas "juste" une addiction. Ce n'est pas "juste" une crise d'ado. Ce n'est même plus un comportement, c'est un état.
Un état que j'ai appris à nommer : le Fugitisme.
Le Fugitisme, c'est ce phénomène que je vois se répéter encore et encore, sans partition réelle, comme une partition douloureuse jouée en boucle.
Les parents décrivent des journées passées seul dans une chambre.
Ils parlent de repas sautés, de discussion devenues impossibles, de colères imprévisibles, de regards évités.
Ils disent l'absence mais aussi la tension constante.
Ils racontent que leur enfant ne vit plus ici.
Il est là, bien sur - le corps est dans la maison - mais son esprit, lui, est ailleurs.
Et cet "ailleurs", c'est l'écran.
Jeu, vidéo, réseaux sociaux, scrolling sans fin...peu importe la forme.
Ce qui compte, c'est ce qu'il vient chercher : un lieu sans limite, sans attente, sans confrontation.
Un espace où le réel n'a pas sa place.
Un lieu où la pulsion est reine et où le simple fait de "continuer" est devenu une raison de vivre.
Ce n'est pas qu'il aime ce qu'il fait.
Ce n'est pas qu'il s'y amuse vraiment..
C'est juste que c'est plus facile.
Plus fluide.
Plus rapide.
Plus anesthésiant.
Le réel lui fait mal.
Il demande un effort. Il demande de sentir.
Et eux ne veulent plus sentir.
Ils ne savent plus sentir.
Alors quand les parents essaient d'imposer un cadre, de poser une limite - même douce, même progressive - l'adolescent explose.
Il ne négocie pas. Il ne discute pas.
Il hurle. Il insulte. Il peut frapper.
Non pas par cruauté mais parce que le lien a été rompu entre frustration et apprentissage.
Parce qu'au lieu d'un être humain en construction, nous avons là un esprit réduit à la recherche d'un soulagement immédiat.
Et pendant ce temps là, dans le cabinet, les parents pleurent.
Pas seulement parce qu'ils ne savent plus quoi faire. Mais parce qu'ils ne reconnaissent plus leur enfant.
Parce qu'ils ont peur. Peur de lui, parfois. Peur pour lui, surtout.
Et parce qu'ils sentent, confusément, que la société elle-même ne leur offre aucun soutien.
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