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Les réseaux sociaux, c’est le bisou magique

  • Photo du rédacteur: Karine De Leusse
    Karine De Leusse
  • il y a 6 jours
  • 4 min de lecture

L’Australie vient de faire quelque chose que notre époque juge presque obscène : dire stop.

Interdiction des réseaux sociaux avant 16 ans. Amendes colossales pour les plateformes.

Un pays entier ose rappeler une vérité élémentaire : l’humain a besoin de limites.


Chaque semaine, j’entends de la bouche des ados :

“Quand je rentre des cours, je scrolle. Ça me détend. J’ai besoin de faire ce geste.”


Pas : « J’ai envie de regarder mes amis. »

Pas : « J’adore ce contenu. »

Non.

« J’ai besoin de faire ce geste. »


Le scroll est devenu un rituel. Qui s’est orchestré quotidiennement avec ce mensonger temps d’écran. Ce geste pulsionnel est mécanique et rassurant. Ce geste est masturbatoire, dans son sens clinique le plus exact : un geste qui sert à se calmer soi-même. Il ne passe ni par le monde ni par l’autre.


Les mères me disent la même chose :

“J’attends ce moment avec impatience… Les enfants couchés, je me mets au lit, je scrolle. Il me faut ça pour décompresser de la journée.”


 »Il me faut ça ».

Pas j’aime ça.

Pas ça m’intéresse.

Il me faut ça.


Comme si le réel était devenu trop lourd et trop exigeant. Comme si on ne supportait plus d’arriver seule dans sa propre soirée, dans son propre silence. On n’accepte même plus sa propre fatigue.



Le scroll : le nouveau doudou


Freud et Winnicott auraient compris immédiatement. Parce que ce que nos adultes et nos ados décrivent, c’est exactement la fonction du doudou constitué d’un geste répétitif, d’une frottement rassurant. C’est une micro-ritualisation pour repousser l’angoisse. Pouce-écran, pouce-écran. Comme on caressait l’étiquette du doudou. Comme on se berçait pour se rendormir.


L’objet transitionnel du XXIᵉ siècle n’est plus un morceau de tissu mais un un flux infini, toujours disponible, toujours prêt à anesthésier ce qui déborde.


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Les réseaux sociaux sont devenus le bisou magique


Le bisou magique, c’est ce geste ancestral lorsqu’on dépose un baiser sur la bosse d’un enfant, sur un bobo comme on le nomme et là, la douleur “disparaît”. Évidemment que l’on sait bien que rien n’a été réparé mais par contre, quelque chose a été apaisé. C’est exactement cela que font aujourd’hui les réseaux sociaux.

Un bisou magique sur la journée.


  • Un bisou magique sur la solitude

  • Un bisou magique sur la fatigue

  • Un bisou magique sur le vide intérieur


Le contenu importe peu car ce qui soigne, c’est la continuité du flux, et ce qui rassure, c’est l’absence de fin.



Le geste masturbatoire que personne n’ose nommer


Les ados ne disent pas : “Je veux voir quelque chose. Ils disent : “J’ai besoin de scroller.” Ce n’est plus une activité, ni même une distraction : c’est une décharge. Une auto-stimulation minimale, suffisante pour tenir à distance :

  • la pensée,

  • le manque,

  • la solitude,

  • l’angoisse,

  • la fin de journée,

  • la confrontation à soi-même.


Une masturbation psychique discrète, socialement acceptée, voire encouragée. Mais malheureusement pas analysée à sa juste mesure. Le scrolling est si simple, si immédiat et si disponible, que nous avons fini par le trouver normal.



Parler uniquement de dopamine, c’est rater la cible


Bien sûr, il y a la dopamine, l’addiction comportementale, le temps d’écran explosif. Mais s’arrêter là, c’est comme analyser un incendie en parlant uniquement de gaz carbonique. Le cœur du problème est anthropologique. Prenons le temps de regarder dans quelle société nous vivons. Une société :

  • de l’illimité,

  • du sans-fin,

  • du sans-seuil,

  • du sans-cesse.


Plus de portes, plus de bordures et plus de moments où “ça s’arrête”. Les plateformes ont construit exactement l’environnement que notre psychisme ne supporte pas : un espace où il n’y a plus jamais de fin.



Le réel est-il devenu insupportable ?


C’est la phrase qui revient, encore et encore :

“J’ai besoin de scroller pour supporter le réel.”, comme si le réel était devenu un fardeau et comme si la simple expérience d’être au monde dans un état fatigué, frustré, inquiet, vivant, n’était plus tolérable sans anesthésiant. Les réseaux ne sont pas un divertissement. Ils sont consommés par une civilisation entière comme des anxiolytiques sans ordonnance. Et bien sûr, comme tous les anxiolytiques, ils soulagent…mais aussi ils éloignent, ils désengagent, ils décorporalisent. Et ils laissent aussi parfaitement intacte la douleur qu’on évite.



Pourquoi l’Australie crée un séisme symbolique


En interdisant les réseaux avant 16 ans, l’Australie ne dit pas seulement : “C’est dangereux.” Elle dit quelque chose de beaucoup plus rare, d’inédit : “Le sans-limite est destructeur.” En légiférant, elle redonne aux jeunes ce que nos sociétés leur ont retiré : un cadre, un non, un seuil et une frustration constructive. Elle remet, dans un monde composé d’un flux infini, une porte et un encadrement. C’est une entrée en résistance. Il ne s’agit pas seulement d’un geste politique. Ce geste est surtout profondément humain.



Le bisou magique ne soigne rien


Le scroll calme et berce. Il vient lisser ce qui déborde et fait tenir debout une génération qui ne sait plus où poser son corps ni son angoisse. Mais il ne soigne rien ! Il éloigne simplement un peu plus du seul lieu où quelque chose peut vraiment changer : le réel.


Tant qu’on refusera de nommer cette fonction-là, c’est à dire l’auto-apaisement, le bisou magique, le geste masturbatoire du scroll, nous continuerons à croire que le problème se résume à “réduire le temps d’écran”. Et rien ne changera ou plutôt si, tout continuera à se dégrader et l’individu à diluer son humanité dans le flux.


Alors qu’il s’agit, en vérité, de réapprendre à habiter l’existence sans s’enfuir d’elle.

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