Etre parent à l'ère des écrans : quand l'amour ne suffit plus

Il fut un temps où les enfants grandissaient dans la maison de leurs parents. Un temps où le cadre familial, aussi imparfait soit-il, offrait une architecture intérieure : des horaires, des repas, des conversations, des conflits parfois, mais une vie en commun.

Aujourd'hui, la maison a changé d'adresse. Ce ne sont plus les enfants qui habitent chez leurs parents mais les parents qui vivent - en périphérie - chez leurs enfants.

Et leur maison à eux, c'est l'écran. Leur chambre intérieure, c'est YouTube, Discord, TikTok ou Fortnite. Leur foyer psychique s'est déplacé dans le virtuel.

Et dans cette maison numérique, ce sont souvent eux qui tiennent les règles.

C'est eux qui décident quand il est "temps de manger" (c'est à dire quand la partie est finie), eux qui fixent les conditions de la relation ("je te parle si tu ne m'interromps pas pendant mon live"), eux qui jugent de la légitimité des limites ("tous les autres ont le droit, pourquoi pas moi ?").

Ce n'est pas qu'ils sont devenus tyranniques - ils sont devenus exilés, et dans l'exil, on se protège comme on peut. On érige des murs. On s'enferme dans des territoires de contrôle. On se fabrique un monde puisque celui qu'on reçoit ne suffit plus.

Ce que révèle ce renversement : une parentalité désorientée.

Dans mon dernier ouvrage "Fugitisme", j'écris que l'enfant contemporain ne fugue pas par crise d'adolescence mais par instinct de survie symbolique. Il s'échappe d'un réel qu'il ne comprend pas. Et dans cette dynamique, le parent est souvent dépossédé de son rôle de repère. Pas par faiblesse. Mais par glissement. Par épuisement. Par oubli collectif du rôle d'un adulte.

Alors oui, on pose des règles. On interdit. On surveille. Mais on a perdu la clé de la maison : le lien vivant. La vraie autorité - celle qui ne contrôle pas mais qui contient. Celle qui n'impose pas mais qui inspire. Celle qui ne réagit pas mais qui veille.

La méthode sur laquelle je travaille vise à proposer une reconstruction patiente mais profonde de l'espace intérieur familial.

Etre parent aujourd'hui, c'est résister au renversement. Ce n'est plus imposer une maison mais inviter l'enfant à cohabiter avec le réel, à en gouter la texture. C'est oser redire "ici, c'est notre maison. Pas celle de l'algorithme."

Et pour cela, il ne suffit pas d'aimer. Il faut comprendre, agir. Et parfois, se rééduquer soi-même à rester pour que l'enfant n'ait plus besoin de fuir.