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Le temps, cette unité malade - le fugitisme comme chronopathologie

  • Photo du rédacteur: Karine De Leusse
    Karine De Leusse
  • 3 mai
  • 3 min de lecture

Et si ce n'était pas la dopamine, mais le temps lui-même qui était devenu pathologique ? Le fugitisme n'est pas une simple addiction à l'instantané. C'est une maladie de la temporalité. Et comme toute maladie chronique, elle s'installe sans bruit mais ronge l'âme.


On croit souvent que notre malaise moderne vient d'un excès de dopamine, d'écrans, de notifications. Que le problème est chimique, numérique, technologique. Mais si la racine était ailleurs ? Plus primitive, plus intime ? Et si ce n'était pas tant la dopamine que le temps lui-même qui était atteint ? Malmené. Dissous. Méprisé. Ce que j'appelle fugitisme, ce n'est pas une simple dépendance aux sollicitations. C'est une fuite systémique hors du temps vécu. Une maladie chronique - dans le sens étymologique du mot : chronos, le temps.

Le fugitisme est un trouble invisible mais omniprésent : c'est ce réflexe de zapper avant de ressentir, de scroller avant de penser, de répondre avant de comprendre. On croit gagner du temps. On se croit plus productif, plus vif, plus "connecté". En vérité, on déserte le temps. On vit hors-sol temporel.


Le fugitisme crée une fracture temporelle : il oppose un temps immédiat, compressé, plat - celui des stories, des messages, des likes - à un temps profond, charnu, vivant que nous n'arrivons plus à habiter.

Le problème n'est plus d'être juste distrait ; c'est de ne plus éprouver le temps. Or, sans cette unité fondamentale, nous perdons la capacité à nous relier, à désirer, à faire mémoire, à construire sens.


La société actuelle souffre d'une chronopathologie collective ; nous ne savons plus attendre, différer, digérer. Nous voulons tout, tout de suite, sans creux, sans silence. L'ennui est devenu suspect. Le vide est pathologisé.

Mais à fuir ces creux du temps, nous fuyons aussi notre propre intériorité. Nous devenons des êtres en fuite de nous-mêmes. Le fugitisme, c'est donc moins une addiction qu'un évitement : évitement de la durée, de la mémoire, de l'incertitude.

Un enfant fugitif n'est pas seulement distrait. Il est désarrimé du temps. Il ne fait pas l'expérience du "pendant", du "après", du "pas encore". Il saute de stimuli en stimuli sans intégrer. Son monde est une suite de surfaces sans épaisseur. L'adulte n'est pas épargné : mail, Zoom, notifications, podcasts en x2...même le silence doit désormais s'optimiser.


Il ne s'agit pas de bannir les écrans, ni de fantasmer un retour au sablier. Le fugitisme ne se combat pas par des injonctions technophobes. Il se soigne en restaurant la temporalité comme tissu vivant de notre psyché.


Cela demande une rééducation sensible ; réapprendre à attendre, à s'ennuyer, à contempler. A lire lentement, à écouter longuement. A se laisser affecter par la durée.


Le fugitisme appelle une thérapie du rythme, qui n'est pas qu'affaire de planning ou de gestion du temps. C'est un soin de l'âme par le retour à un temps habitable. Cela implique le corps, la respiration, la mémoire, les récits. Cela implique surtout une vision de l'humain : pas un cerveau à optimiser mais une âme à relier.


Le fugitisme nous fait croire que nous manquons de temps. Mais en réalité, c'est le temps qui manque à notre vie. Un temps habité, incorporé, incarné.


Le fugitisme est moins un symptôme que le révélateur d'une civilisation malade de son rapport au chronos. Si nous voulons guérir, il faudra réapprendre à faire de la place au temps. Lui redonner droit de cité en nous. L'accueillir non comme une ressource à consommer mais comme un sol à habiter.





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